À quoi sert l'école ? – Brut Philo

Mais à quoi sert l'école ? À apprendre ? À se faire des amis ? À passer le temps ? On a posé la question à la philosophe praticienne Alicia Polzella Gauduel. Et vous, vous en pensez quoi ? 🤔
Publié le
29
/
08
/
2024

À quoi sert l’école ?


Pour Alicia Polzella Gauduel, philosophe praticienne, l’école sert à apprendre des savoirs mais aussi à exercer sa pensée. “Lorsque je pose la question aux enfants : "À quoi ça sert l'école d'après vous ?" Très spontanément, et la plupart du temps, la première réponse qui vient, c'est "apprendre”. Je précise : ils ne m'ont jamais répondu que ça ne servait à rien, et c'est plutôt intéressant. Et puis, je crois aussi qu'ils sont très sensibles à la dimension du collectif. Aller à l'école, ça sert aussi à retrouver ses copains, à jouer au foot dans la cour de récréation, on se fait des amis, on se fâche, on rencontre ses premiers émois amoureux peut-être, on se réconcilie... Et voilà, l'école, c'est aussi évidemment le lieu du commun, le lieu du collectif.” Pour elle, l’école est politique, caractérise la France et c’est donc l'État qui fixe à l'école ses missions et le contenu des programmes. Dans une loi sur la refondation de l'école datant de juillet 2013, la mission première de l'école est de permettre aux élèves de partager les valeurs de la République, l'égalité, la fraternité, la liberté et la laïcité.

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Si l’on s'attarde plus sur l'étymologie de ce mot, l’école renvoie aux loisirs, aux repos et au moment où la fatigue physique s’arrête. “C'est assez intéressant de se dire que finalement, peut-être que les jeunes qui nous regardent vont se dire ‘ on m'aurait menti!’, puisque l'école, étymologiquement, c'est d'abord le loisir et le repos. Et en réalité, ce dont les philosophes ont souvent traité, c'est plutôt la dimension justement, de s'exercer à penser, du loisir de penser, par opposition aux moments de fatigue physique et aux moments de dur labeur.”

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Les missions de l'école ont changé avec l'apparition d'Internet ?


Pour Alicia Polzella Gauduel, l'école ne cesse d'évoluer en même temps que la société. Elle explique : “Si vous allez sur YouTube et que vous tapez ‘à quoi sert l'école’, vous tombez sur des tas de pages qui vous expliquent pourquoi l'école ne sert à rien, prenant comme argument que, finalement, tout le savoir est disponible sur Internet. Oui, et donc, est-ce que pour autant l'école ne sert à rien ? Est-ce que pour autant la transmission des valeurs se fait en allant regarder une vidéo sur YouTube? Est-ce que l'apprentissage de la collectivité se fait en dehors de l'école et donc tout seul sur Internet? Je pense que l'école doit évoluer et je pense qu'elle évolue par rapport à tous ces changements de société et à toutes ces nouvelles technologies.”

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La philosophe pense notamment à l’intelligence artificielle, capable de répondre à n’importe quelle question liée au savoir et disponible sur Internet. Elle pense également à la position des professeurs qui a véritablement évolué avec la société. “Aujourd'hui, on a souvent l'impression que l’école, c’est pas seulement apprendre, mais on demande aux professeurs à la fois d'assurer l'ordre. Enfin, tout un tas de choses qu’on ne leur demander peut-être pas forcément avant, ou moins peut-être, parce que la société a évolué.”


Pour elle, l’école est aussi une question d’ordre qui a toujours existé. “L’école, c’est aussi un monde de règles. Quand on fait société, on a besoin de règles. “À ce titre, l'école a pour rôle d'instaurer une certaine autorité. Ce n'est pas un mot péjoratif, c'est simplement de dire qu'il y a des règles pour vivre ensemble et que donc l'école, comme tout un tas d'autres lieux de la société, il faut les faire appliquer et respecter. Je dirais que ce qui est plus étonnant peut-être aujourd'hui, c'est qu'on demande aussi à l'école d'être un lieu de bien-être, qui va développer le bien-être. Moi, ce qui m'interroge peut-être parfois, c’est de me dire est-ce que l'école, c'est vraiment le lieu où on transmet l'amour, ou est-ce que le lieu où on transmet l’amour,  c'est peut-être d'abord et avant tout la famille ? Et puis je ne dis pas qu'à l'école, il n’y a pas d'amour, mais disons que peut-être que la mission première de l'école, c'est davantage l'apprentissage, la transmission, peut-être le fait d'expérimenter la règle et la vie en collectivité, que l'endroit où on apprend l'amour au sens où c'est plutôt, à mon avis, à la cellule familiale ou en tout cas à la partie plus privée de la vie de nos élèves, qui sont à ce moment-là des enfants, qu'on trouve l'amour.”

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L’école devrait servir à avoir un métier ?


On entend parfois que certaines personnes suivent des cursus qui ne mènent pas beaucoup au marché du travail, sous-entendant que l'école devrait servir à avoir un métier. Pour Alicia Polzella Gauduel, ce rôle d’apprendre un métier n’est plus obligatoirement le même qu’avant. “Aujourd'hui, il faut être honnête, il y a des statistiques qui existent, et elles sont nombreuses, notamment une étude qui date déjà de 2017 et qui nous annonçait que 85% des métiers de 2030 n'existaient pas encore. Comment apprendre un métier qui n'existe pas ? Je dirais que c'est moins en apprenant et en transmettant des compétences techniques mais plus en apprenant à naviguer finalement dans la société d’aujourd’hui, et donc à développer des compétences, à apprendre à penser, à être agile, à développer son esprit critique ou bien la coopération, qui sont finalement des compétences transverses qui vont peut-être permettre de passer d’un métier à l'autre facilement. Il faut aussi se dire que dans ces statistiques-là, il y a un nombre considérable de jeunes sur le marché du travail ou même de jeunes qui font leurs études, qui se disent déjà qu'ils veulent faire autre chose que ce qu’ils font. Avant, on choisissait un métier, on le faisait toute sa vie, parfois, même, on avait des enfants qui faisaient le même métier que nous. Aujourd'hui, on change de métier très souvent. Et finalement, ce qui est intéressant, je pense, à travailler, à étudier et donc à apprendre à l'école, c'est cette capacité à être agile, à pouvoir avoir des compétences humaines transverses qui vont permettre justement d'accéder à ce désir, à cette curiosité et correspondre aussi à la société dan laquelle on se trouve.“

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L’école : un lieu où se développe la violence ? 


Ce que la philosophe trouve aujourd'hui difficile, c’est que l'école devient un lieu où la violence se développe. “J'ai envie de dire: ‘dans ces moments où on essaye de créer plus de commun que de divergences, où on essaye de davantage se comprendre, de dialoguer ensemble sur des questions qui sont des questions essentielles pour tout le monde, alors, peut-être, on peut trouver des solutions pour améliorer ces situations-là.’ Récemment, j'ai été accueillie par une sorte de groupe d'élèves qui s'est agglutiné autour de moi en hurlant "ouais, on a philo!", et j'ai trouvé ça à la fois magique pour moi, mais aussi assez étonnant et donc intéressant. Qu'est-ce que ça veut dire de se réjouir à ce point-là, d'avoir des moments où, finalement, on va à la fois les écouter, leur poser des questions philosophiques et donc éminemment humaines, et la joie qu'ils ont à y répondre et à discuter entre eux. Je dirais qu'aujourd'hui, la philosophie n'est pas inscrite en tant que telle dans les programmes, notamment de maternelle et de primaire. On parle de débat d'idées, de capacité à exprimer ses opinions, un point de vue controversé, accueillir l'opinion de l'autre. Donc, il est toutes ces choses-là sont éminemment philosophiques, mais je pense qu'il est grand temps d'intégrer davantage de philosophie, notamment à l'école. C'est Diderot, je crois, qui disait : ‘il faut se hâter de rendre la philosophie populaire." C'était il y a déjà plusieurs siècles et je pense que parmi les améliorations peut-être de l'école, il faudrait pouvoir proposer de la philosophie beaucoup plus tôt et de façon beaucoup plus fréquente.”

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