Un ancien nazi à la tête d’une secte au Chili : l’histoire de la Colonia Dignidad (4/4)

Crédit : Shepard Sherbell / Getty Images
Paul Schäfer, un ancien caporal SS, s’installe dans un lieu très reculé au Chili avec 300 fidèles et fonde la Colonia Dignidad. Augusto Pinochet n’est plus au pouvoir, la colonie n’est plus protégée par le gouvernement et Paul Schäfer commence à perdre son principal atout : la loi du silence.
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Épisode 1 : Un ancien nazi à la tête d’une secte au Chili : l’histoire de la Colonia Dignidad
Épisode 2 : Un ancien nazi à la tête d’une secte au Chili : l’histoire de la Colonia Dignidad
Épisode 3 : Un ancien nazi à la tête d’une secte au Chili : l’histoire de la Colonia Dignidad

Épisode 4/4 : La fin de l’emprise de Paul Schäfer

En 1991, Paul Schäfer est préoccupé. Le vent tourne… Augusto Pinochet n’est plus au pouvoir au Chili. La colonie perd son statut de bienfaisance qui l'exempte de taxe et d’impôt.

Ce changement bouleverse la vie des colons. Jusqu’alors, aucun d’entre eux n’avait jamais signé un contrat. Mais du jour au lendemain, ils se voient contraints de signer des documents stipulant qu’ils vont désormais toucher un salaire. 

Paul Schäfer leur explique aussitôt qu’ils ne toucheront pas d’argent. Les habitants trouvent cela absurde, ils n’ont jamais eu besoin d’argent. Mais ils signent sans poser de questions.

Paul Schäfer commence à perdre son principal atout : la loi du silence

L’influence de la colonie se détériore, l'hôpital ferme, faute de moyens financiers. Pour redorer son image, Paul Schäfer décide d’accueillir des enfants chiliens en pension. 

Étant donné que la stricte séparation des sexes a fait disparaître les naissances au sein de la communauté, Schäfer profite de cette situation pour reprendre ses abus sur les enfants, cette fois sur les jeunes garçons chiliens.

Conscient que ces actes ne sont pas normaux, certains résistent au chef de la secte. Ils sont alors drogués avec des médicaments administrés par le bras droit de Paul Schäfer, Hartmut Hopp.

L’un des enfants chiliens parvient à écrire à sa mère pour l’alerter sur ce qu’il se passe à la Colonia Dignidad. Méfiante envers la police locale, qu’elle soupçonne d’être corrompue, elle dépose plainte directement à Santiago. Une enquête est alors ouverte et un mandat d’arrêt est lancé contre Paul Schäfer.

“C’est la personne la plus honnête que je connaisse” 

La police chilienne organise une perquisition à la colonie. Mais Paul Schäfer est prévenu. Pendant leur fouille, il se cache dans une pièce secrète. “Il nous a tous élevés, c’est la personne la plus honnête que je connaisse”, témoigne un des adultes interviewés par un journaliste. 

Luis Enriquez, le policier à la tête des perquisitions, tente de venir à la colonie à plusieurs reprises, en vain. À chaque fois, Paul Schäfer est introuvable.

Quelques semaines plus tard, deux adolescents, Salo Luna, un Chilien, et Tobias Müller, un Allemand, parviennent à s’enfuir de la colonie. Après un long périple, ils atteignent Santiago et trouvent refuge à l’ambassade d’Allemagne. Celle-ci décide alors de les envoyer en Allemagne pour s’assurer qu’ils se trouvent en sécurité.

La fuite de Paul Schäfer

Ces fuites fragilisent un peu plus la position de Paul Schäfer. En 1997, craignant d’être retrouvé s’il reste au Chili, il part en Argentine, entouré de ses cinq fidèles les plus proches.

À présent, ses disciples sont livrés à eux-mêmes. Seuls dans la colonie, ils continuent un temps à vivre en autarcie, faute de ne rien connaître d’autre. Peu à peu, les hommes et femmes restés au Chili commencent à reconstruire une vie après des décennies passées sous emprise. Mais Paul Schäfer est toujours en liberté, et pendant des années, les habitants vivent dans la peur qu’il refasse surface. 

Des centaines de victimes

C’est en mars 2005 qu’une journaliste retrouve enfin la trace de Paul Schäfer en Argentine. Il est alors extradé vers le Chili, puis jugé et condamné pour abus sexuels et violences sur mineurs. Ses autres crimes, notamment les actes de torture sur des prisonniers politiques, ne seront jamais jugés. Il meurt en prison à Santiago en 2010.

La Colonie, rebaptisée Villa Baviera, existe toujours. Elle a été transformée en site touristique. Mais les blessures demeurent : les familles de prisonniers politiques réclament toujours vérité et justice, et beaucoup d’anciens colons tentent encore de se reconstruire après des décennies de silence et d’emprise.

Pendant près de quarante ans, ce lieu aura fait des centaines de victimes : 300 personnes réduites au travail forcé, une centaine torturées, et plus de 200 garçons victimes des abus sexuels de Paul Schäfer.

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