"Tentation autoritaire" ou lutte contre la désinformation : comprendre la polémique entre les médias Bolloré et l'Elysée

La volonté d'Emmanuel Macron de réguler l'information sur les réseaux sociaux lui attire des accusations de "dérive liberticide" des médias Bolloré et de responsables de droite et d'extrême droite, au nom d'une "liberté d'expression" que le président appelle à ne pas confondre avec le "Far West".
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"Quand parler de lutte contre la désinformation suscite la désinformation…". Le message de l'Elysée sur X, accompagné d'une vidéo, est cinglant, adressé à Pascal Praud, aux médias Bolloré et aux responsables de droite et d'extrême droite.

Mais d'où part la polémique ?

Depuis quelques temps, Emmanuel Macron s'est lancé dans un vaste chantier pour "sonner le tocsin" sur les risques que les réseaux sociaux, et la désinformation, font peser, à ses yeux, sur la démocratie. Il a donc enchaîné les rencontres et a commencé à esquisser des pistes, qu'il entend traduire en "décisions concrètes" début 2026.

A Arras, le 19 novembre dernier, il avait prôné un "label", porté "par des professionnels" des médias, pour "distinguer les réseaux et les sites qui font de l'argent avec de la pub personnalisée et les réseaux et les sites d'information". Le 28 novembre, à Mirecourt, il ajoutait vouloir instaurer la possibilité d'une action judiciaire "en référé" pour bloquer en urgence les "fausses informations" ou les informations "attentatoires" à la dignité d'une personne diffusées sur les réseaux sociaux.

"Ministère de la Vérité"

Si cette réflexion se déroulait jusqu'ici plutôt à bas bruit, le Journal du Dimanche, propriété du milliardaire conservateur Vincent Bolloré, s'est emparé du débat et à reprocher à Emmanuel Macron une "dérive totalitaire". "Le président veut mettre au pas les médias qui ne pensent pas comme lui", écrit-il, dénonçant "la tentation du ministère de la Vérité".

La référence au "Miniver" du roman dystopique "1984" de George Orwell a été relayée par les autres antennes de l'homme d'affaires conservateur, de CNews à Europe 1 - peut-être heurtées par la critique d'Emmanuel Macron contre les "milliardaires" qui détiennent des médias "à des finalités d'influence de l'opinion et pas simplement d'information". L'attaque a ensuite été reprise à droite.

"La tentation d'Emmanuel Macron de toucher à la liberté d'expression est une tentation autoritaire, qui correspond à la solitude d'un homme (...) qui a perdu le pouvoir et cherche à le maintenir par le contrôle de l'information", a protesté sur CNews le président du RN, Jordan Bardella.

"Nul gouvernement n'a à trier les médias ni à dicter la vérité", a abondé le patron des Républicains, Bruno Retailleau, sur X.

Face à ces critiques, l'Elysée s'est fendu lundi soir d'un message sur X pour déplorer que "parler de lutte contre la désinformation suscite la désinformation".

Cette idée de "label" vient des Etats généraux de l'information, dont le comité de pilotage avait recommandé en 2024 aux "professionnels de l'information" de s'engager dans une telle démarche pour "renforcer la confiance" du public.

"Free speech" aux Etats-Unis

Emmanuel Macron a d'ailleurs souligné que ce n'était pas au gouvernement de dire "ceci est une information, ceci n'en est pas", et a plutôt invoqué une initiative de labellisation lancée par l'ONG Reporters sans frontières avec la Journalism Trust Initiative.

Le chef de l'Etat a, de manière assez rare, placé le débat sur un plan intime en rappelant qu'il avait été "personnellement" confronté à des fausses informations, et Brigitte Macron "encore plus", une allusion aux campagnes de désinformation et rumeurs affirmant que son épouse serait "née homme". "On est totalement démuni" face à cela, a-t-il plaidé.

La polémique s'inscrit dans une bataille de plus en plus vive pour une "liberté d'expression" supposée être menacée, menée notamment par la sphère Bolloré, dans le sillage de la défense du "free speech" aux Etats-Unis par la galaxie trumpiste.

Le président a commencé à essayer de battre en brèche cette idée, en appelant à la régulation des réseaux sociaux et de leurs algorithmes qui, martèle-t-il, sont "le Far West et pas le 'free speech'". "C'est pas la liberté de parole que de dire n'importe quoi", a-t-il lancé à Toulouse, "c'est la loi du plus fort".

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