Voici pourquoi la colère est vitale en société - Brut PHILO

Elle est redoutée, souvent discréditée. Ce que la colère dit des rapports de force dans notre société, et pourquoi elle est une émotion vitale, par la philosophe Sophie Galabru.

La colère, une émotion discréditée et rejetée ? 

Sophie Galabru, philosophe, explique avoir pris un temps considérable avant de se mettre en colère et d’assumer cette émotion. “Quand j'ai commencé à comprendre que j'avais cette émotion en moi et qu'elle n'était pas si inintéressante ou si délétère, mais qu'elle pouvait, au contraire, être un moteur pour lutter contre des frustrations, parfois de la tristesse, des questionnements, que c'était un moteur vital, une énergie créatrice, alors je me suis dit qu'il fallait absolument enquêter sur la colère en général, celle des autres, et montrer ce potentiel énergique.” Ces observations l’ont mené à écrire un livre, “Le Visage de nos colères”. 

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Cette émotion indispensable semble être discréditée aujourd’hui dans notre société. Elle l’est également dans la philosophie, dans les religions, mais aussi, finalement, dans notre espace médiatique et social. Elle cause beaucoup d'embarras quand celle-ci est affichée dans toute sa pureté. Les recherche de Sophie Galabru l’ont menées aux racines de la philosophie occidentale, dans le rationalisme porté par Socrate, Platon ou encore les stoïciens. “Pour eux, la colère est une émotion qui peut avoir parfois sa place, mais qui doit être très solidement tenue, éclairée et cadrée par la raison. (...) Je pense qu'il y a là un discrédit jeté sur le corps, et ça, c'est un parti pris idéologique en philosophie qui considère que tout ce qui vient de la chair ne pense pas.”

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Elle explique qu’il y aurait également un a priori genré et social. Chez les Grecs, ceux qui se mettent en colère, surtout ceux venant du peuple donc d’une classe sociale “plutôt ignorante, menée par ses appétits ou ses désirs, n'est pas une colère très intelligente, éclairée ou saine”. En revanche, la colère d’un sage ou d'un guerrier est un peu plus valorisée. 

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“Les personnes qui crient dans les manifestations ont compris quelque chose”

Pour elle, une expression verbale ou physique de colère est une expression d’une compréhension. “Le peuple qui se met en colère, des gens en lutte qui se mettent en colère en criant dans une manifestation, et parfois en brutalisant le paysage urbain, sont parfois des gens qui ont pourtant compris quelque chose, compris une injustice, qui la vivent dans leur corps tous les jours, qui ne la supportent plus, qui se sentent opprimés et qui l'expriment par ces gestes”. 


L’élite qui comprend cette situation et qui “a peur de ces manifestations physiques de rage et de colère”pourrait potentiellement jeter le discrédit sur ces événements et ces comportements de la part de ceux qui luttent. “Mais peut-être que tout simplement, ils ne ressentent pas dans leur corps l'oppression, la frustration et le désespoir quotidiennement, et donc ils ne peuvent pas comprendre ce que vivent ces corps. Ils ne peuvent simplement que théoriser. Et du point de vue de la raison, qui réfléchit et théorise, conceptualise, on peut très bien se contenter de parler, de débattre, plutôt que de s'énerver dans une rue. Ils n'ont pas tort, mais quand on vit la frustration et la souffrance, on n'a pas le temps de se poser pour étudier, lire, verbaliser, articuler, réfléchir. On n'a pas le temps ni la patience. Et le désespoir peut conduire à mener des actions physiques”, confie-t-elle.

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La colère fait peur ? 

Pour Sophie Galabru, “la colère fait peur quand elle vient de la part des catégories dominées, parce que la colère est une arme de lutte. C’est quelque chose de finalement très banal, qu'on a vu dans des luttes, comme pour l'émancipation, les droits civiques, contre la ségrégation raciale, le droit des femmes… La colère est une émotion, un affect, une arme politique pour renverser un rapport de force, pour dire non, pour résister, pour ne pas se contenter de subir en silence”. La colère serait donc une “arme qui fait peur à ceux et à celles qui bénéficient de privilèges, bénéficient d'un ordre dominant qui leur convient, voire qui les enrichit, les nourrit”

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En retour, ces personnes jettent le discrédit sur cette émotion, la catégorisant d'irrationnelle, d’irréfléchie…”Je pense que ce sont des stratégies de discrédit complètement illégitimes, injustifiées, contre lesquelles il faut lutter. Il faut savoir entendre le premier palier, qui est la colère. La colère est, et ça, on le dit aussi en neurobiologie, une expression qui vise à réguler les rapports sociaux. Quand on se met en colère, on manifeste à l'autre qu'il va trop loin, qu'il abuse d'une situation et on cherche à remettre de la distance, à réguler les rapports. La colère est un régulateur dans les relations intimes et sociales. Il faut absolument savoir l'entendre, le recevoir, en faire quelque chose pour éviter que le désespoir ne mène alors à des paliers plus violents qui seront nuisibles à tous et à toutes.” 

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