"Notre message est clair : si on veut endiguer ce phénomène, il faut mettre en place une vraie politique d'Etat avec les moyens qui vont avec", déclare à l'AFP la députée Sandrine Josso, co-rapporteure avec la sénatrice Véronique Guillotin de cette mission lancée en avril 2024 par le gouvernement Attal.
Le procès de Mazan, devenu le symbole de la soumission chimique autour des viols subis par Gisèle Pelicot, sédatée par son mari, "a créé un électrochoc, la société toute entière nous regarde : on ne peut plus fermer les yeux ni se boucher les oreilles, on ne peut plus se permettre d'avoir une politique low-cost par rapport aux victimes", ajoute-t-elle.
Dans leur rapport consulté par l'AFP et qui sera remis au gouvernement lundi, les deux élues émettent une cinquantaine de recommandations, dont 15 à "mettre en oeuvre en priorité" dès cette année, allant de la prévention à l'accompagnement des victimes en passant par le traitement judiciaire ou encore la recherche consacrée à ce phénomène.
Elles préconisent notamment le lancement, à un rythme annuel, d'une vaste campagne de sensibilisation de l'ensemble de la population, ainsi qu'"un renforcement des moyens" au bénéfice de l'éducation à la vie affective et sexuelle (Evars) dans les établissements scolaires.
Face à des parcours jugés peu lisibles par les victimes, la mission recommande l'élaboration d'un référentiel par la Haute autorité de santé (HAS) sur le dépistage, l'orientation et l’accompagnement. "Celui-ci intègrera notamment une fiche réflexe (un document de référence pour les personnes prenant en charge les victimes, NDLR) et une identification des différents lieux où réaliser des prélèvements biologiques dans les heures qui suivent au regard du maillage territorial", précise le rapport.
Autres mesures préconisées, la généralisation de l’expérimentation sur le remboursement des prélèvements biologiques sans dépôt de plainte ou encore l'élargissement de la levée du secret médical aux cas de soumission et de vulnérabilité chimiques. La mission recommande par ailleurs la mise en place de kits de prélèvements biologiques, et non de détection "qui ne présentent aucune garantie pour leurs usagers".
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"Infinitésimale"
Dans une interview à Libération, la ministre chargée de l'Egalité femmes-hommes Aurore Bergé assure qu'"on ne peut se contenter de communiquer sans tenir compte du fait que cela va engendrer plus de demandes pour recueillir des preuves, déposer plainte, et c’est tant mieux".
"Il va falloir déployer les moyens adaptés comme on le fait depuis 2017. Notre enjeu est qu’il n’y ait aucune perte de chance, territoriale ou sociale", a-t-elle indiqué, sans donner de chiffres.
La présentation de ce rapport survient cinq mois après le verdict dans le procès des viols de Mazan à l'issue duquel Dominique Pelicot a été condamné pour avoir drogué et livré sa femme à des dizaines d'inconnus qui l'ont violée.
Ce procès, à l'immense retentissement médiatique, a permis de lever le voile sur un phénomène jusque-là méconnu ou alors cantonné dans l'imaginaire collectif aux sphères festives après un vaste mouvement européen, #balancetonbar.
Une autre affaire de soumission chimique est elle pendante, celle concernant le sénateur Joël Guerriau, soupçonné d'avoir en novembre 2023 drogué Sandrine Josso afin de commettre une agression sexuelle. Début avril, le parquet de Paris a requis un procès contre l'élu.
Selon les estimations officielles, 1.229 soumissions et vulnérabilités chimiques vraisemblables ont été analysées en 2022 par le centre de référence des agressions facilités par les substances (CRAFS).
En 2023, "127 personnes ont été mises en cause au titre de la seule soumission chimique : parmi les 65 procédures poursuivables, 62 l’ont été effectivement, donnant lieu à des peines de réclusion ferme d’une durée moyenne de 8,9 années", selon le rapport qui insiste sur le fait que ces chiffres ne représentent qu'une "estimation infinitésimale des situations".
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