Ce que les "nouveaux" mots du confinement disent de nous

"Gestes barrières", "les soignants", "coronapéro"… La linguiste Julie Neveux raconte ce que les "nouveaux" mots de cette période de confinement disent de nous…

Le confinement crée de nouveaux mots et en recycle d'autres


De la rhétorique guerrière du gouvernement aux mots-valises de l'apéro, cette période d'isolement change notre vocabulaire. Le point avec la linguiste Julie Neveux.


« On se fait un Skypéro ? » « Salut salut les confinos ! » « Hommage à nos soignants »… Ça vous agace ? C'est normal : ce type d'expressions sont apparues avec le confinement, et on les répète un peu trop. La linguiste Julie Neveux décrypte pour nous ce nouveau corona-langage.


Les soignants


Le terme « soignants », c’est intéressant, parce que c’est peut-être le signe qu’enfin, on arrête de regarder les hiérarchies. On n’a plus les médecins d’un côté, les infirmières de l’autre, les aides-soignants… Non, on a les soignants. C’est le seul terme. Un mot générique qui englobe tout le monde.


« Soignant » est un ancien participe présent : il signifie « être en train de soigner ». Cela véhicule la notion d’activité. Finalement, les actifs, ici, ce sont les soignants.


Il y a également l’expression « nos soignants », évidemment, l’adjectif possessif utilisé par Macron et d’autres… Ça fait un peu sourire, parce qu’évidemment, les pauvres, ils ne sont pas à nous du tout. Mais cela fait partie de la même rhétorique guerrière. Le but est de faire comprendre qu’il faut qu’on les soutienne.


Les gestes barrières


Le mot « geste » vient de « gerere » en latin, qui signifie « faire ». C’est vraiment ce que je peux faire de mon corps. Et ce que je peux faire de mon corps, c’est le rendre imperméable à la circulation du Covid-19.


On a donc des termes de limites, ceux de la rhétorique guerrière déployée par nos autorités. La métaphore de la guerre, je pense qu’elle a raté. Pourquoi ? Parce que Macron l’a mal incarnée. Or, une métaphore, ça marche quand ça vient du cœur, que c’est vraiment motivé, qu’on sent que quelqu’un souffre et qu’il ressent qu’il y a un combat qui doit être mené.


Cette métaphore, il l’a répétée beaucoup trop de fois. Ça aurait dû être comme un coup de poing qui passe en force et de façon implicite : si vous faites six fois la métaphore, comme une anaphore – il a répété « nous sommes en guerre » – ça a l’air d’une formule vide. Et plus il la répète, plus elle se vide.


Si j’avais été conseillère en communication de Macron, je lui aurais dit : « Non, ça suffit, là ! La métaphore de la guerre, on arrête, ça ne marchera plus. » C’est dommage, parce que c’était une bonne idée.


Coronavirus


« Coronavirus », c’est un terme qui existe depuis près d’un demi-siècle, mais c’est la première fois que, sans doute vous et moi, on y est confrontés.


« Corona » signifie « couronne » en latin. Et avec « virus », ce qui est génial, c’est que le mot retrouve son sens premier, latin, peu ragoûtant. Car le virus, en latin, c’est un venin, un poison, une substance organique qui pue. Ça peut désigner la bave des limaçons, la semence des animaux.


Depuis 10 ans, on s’était habitué à l’idée d’une viralité souhaitable, parce qu’il y avait des vidéos virales. La viralité paraissait un phénomène tout à fait enviable. Mais avec le retour du virus en force, on a un gros choc vis-à-vis de ces mots médicaux qu’on comprend peu.


Covid-19


« Covid » c’est « Corona Virus Disease ». Co, vi et le D, c’est le début de « disease ». Ce qui est intéressant dans « Covid » – surtout qu’on ne dit plus trop « Covid-19 » mais « Covid » – c’est que ça fait beaucoup moins d’effet. Ça fait beaucoup moins peur que « coronavirus ». Et il y a une dimension petit nom. Tous ceux qui sont confrontés à cette maladie disent « Covid ». Ça vide un peu le mot de sa dimension nocive. Car le virus se déploie.


Épidémie


« Épidémie », c’est un terme qui désigne la mise en circulation. Ça vient du grec. « Épi », c’est « sur », et « demos », c’est la région, le pays. La pandémie, c’est partout.


Les mots créés très vite


Les mots comme « coronapéro » sont des mots-valises. On prend les bouts de deux mots, ça peut être le début ou la fin. On a aussi « WhatsAppéro », en anglais il y a « Quarantini » (« quarantaine » avec « Martini »), « Zoomhappyhour »…


Confinement


Au début, ça a été la mesure la plus terrible à entendre. Pourtant, avec la banalisation de notre situation, on a une importante utilisation des adjectifs « confinés ». On passe de « je suis confinée » qui est un usage normal puisque c’est un participe passé passif, à « recettes confinées », « chorégraphies confinées »… Ça n’a plus du tout de sens, puisque les chorégraphies, justement, dépassent ce confinement.


On a aussi « déconfiné » : « Déconfinez-vous l’esprit », « voici une recette déconfinée »… Le mot « confiner » s’est vraiment vidé de son sens nocif.


Le must, c’est quand même les formules type « bon confinement ». Je trouve ça assez fou ! Parce qu’un confinement, c’est quand même un emprisonnement. Je veux bien que le terme ait perdu de son sens, mais, là… J’ai l’impression d’être l’une de ces vieilles cerises que ma grand-mère mettait dans un bocal, en haut d’une étagère poussiéreuse. Comme s’il y avait une main qui venait fermer le bocal et qui me disait : « Salut ! Bon confinement ! » Et moi, je serais là : « Aaaaargggh, non, je veux sortir ! »


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Brut.