La colline du crack

À Paris, c'est le lieu où se côtoient toutes les misères : la "colline du crack", dont le camp de migrants a été évacué ce mardi 28 janvier. Derrière ce nom, il y a des personnes, des histoires. Pour Brut, Camille Courcy est allée à leur rencontre.

Dans l’enfer de la colline du crack


Notre reporter Camille C. s’est rendue sur la colline du crack, où, depuis plus de 10 ans, dealers et consommateurs se donnent rendez-vous.


Historiquement, la colline du crack se trouve à Porte de la Chapelle, au nord de Paris, coincée entre les échangeurs de l'autoroute A1 et le périphérique. En novembre 2019, le camp est évacué. Mais quelques semaines plus tard, les 2.000 habitants se réinstallent 500 mètres plus loin, à Porte d'Aubervilliers. Camille C. raconte les parcours de celles et ceux qui tentent d'y survivre.


« À quoi je sers ? Je ne sais pas »


Mamadou, 52 ans, vient du Mali. Il se porte régulièrement volontaire pour nettoyer le camp, et se débarrasser des déchets. Il ne sait même plus quand il est arrivé sur la colline. « On est trois ou quatre. On essaye toujours de faire le maximum. Tu vois, on n'a pas de salaire, mais on le fait pour nous. Ça nous motive. »


Quelques mètres plus loin, Mirlene, 34 ans, se repose dans sa tente. Arrivée d’Haïti et sans papiers, elle est bloquée Porte d’Aubervilliers. « À quoi je sers ? Je ne sais pas. Et ça, ça fait très, très mal. Je sors de prison. J'ai pas un euro. J'ai une addiction à la drogue, à l'alcool. Je pensais que ça allait m'aider à oublier, mais ça a entraîné encore plus de problèmes. Maintenant, j'essaie de me maîtriser grâce à Dieu. Je voudrais trouver un travail dans le social. »


Dealers, consommateurs et migrants


De nombreux migrants se sont également installés sur la colline. Beaucoup d’entre eux sont devenus toxicomanes. À l’origine, ils vivaient dans des campements au nord de Paris, dont ils ont été évacués. Moussa, Mauritanien de 31 ans, raconte. « Les gens n'étaient pas comme ça, avant. C'est la drogue qui fait ça. Je savais pas ce que c’était, le crack. J'avais jamais vu ça avant, au bled. Alors que ça, ça tue ! Ça te détruit à l'intérieur. Et c'est à cause de cette merde-là que beaucoup de monde fait caca, ici. Ils pissent juste à côté de là où on dort. Les gens font l'amour sur ton lit ! Après, tu vas dormir, tu attrapes des maladies, la gale et toutes ces merdes-là. À cause de quoi ? À cause de cette putain de vie ! Il faut construire un endroit pour que les gens quittent ce lieu. »


Sarah, fumeuse occasionnelle - son nom a été modifié - l’affirme : tout le monde peut tomber dans cet engrenage. « On peut chuter sans le savoir, du jour au lendemain. Les gens se voilent la face. Chez eux, ils se shootent aux médicaments, à l’alcool. Les jeunes, ils se shootent au shit, à la cocaïne… C'est aussi des addictions, c'est aussi de la drogue, et c'est pas pour autant qu'ils arrivent pas à assurer à l'école, au boulot ou dans leur vie de famille. Eh ben, on est pareils. »


« Je suis enceinte, ça fait quatre ans que je fume du crack »


Le crack est aussi appelé la drogue du pauvre. C'est un dérivé très bas de gamme de la cocaïne mélangé avec du bicarbonate de soude et de l'ammoniaque. Sur la nouvelle colline, Camille C. a rencontré Laurie, une jeune Belge de 19 ans devenue accro très jeune. « Que mes parents m’en veulent pas s’ils me voient, parce que je leur ai dit que j’ai arrêté de fumer. Vu que je suis enceinte. Ça fait quatre ans que je fume du crack et à peu près trois ans et demi que je suis là. Avant, je retournais chez ma mère de temps en temps, mais là… Je suis là 24/24h. »


La jeune fille, souriante, se remet du rouge à lèvres, nous montre quelques croquis dessinés au stylo bic, puis nous décrit son parcours, consigné dans son carnet. « Mon histoire est assez longue, triste et barbante. Mon père, un week-end sur deux, me tripotait de mes 2 ans à mes 6 ans et demi. De mes 6 ans et demi à mes 7 ans et demi, c'était du viol. Maman a porté plainte avec moi, ça a été classé sans suite. Ils m'ont placée 6 ans en centre pédopsychiatrique car j'avais du mal. Maman avait un nouvel homme, un nouveau bébé et une nouvelle maison. Après, à 13 ans, j’ai fugué, traîné et dormi avec des punks à chiens anarchistes qui m'ont fait goûter le fameux crack à Porte de la Chapelle. Quand je fume, parfois, je peux voir ma grand-mère. Elle me supplie de ne pas aller vers la lumière, là d'où elle vient. »


« Il y a a encore de l’amour »


Malheureusement, l'histoire de Laurie n’est pas du tout une exception. Les habitants sont régulièrement expulsés, ce qui ne fait que déplacer le problème. Pour sortir de l’addiction aux crack, toutes ces personnes devraient quitter la colline. Toutefois, beaucoup d'entre eux n'ont nulle part où aller, et la colline est leur seule famille. « Si je me fais agresser, ce sont les frères qui me défendent, abonde Mirlene. J'ai honte d'aller voir ma famille pour leur dire que j'ai faim. Il y a des gens qui s'aiment beaucoup, ici. Bien entendu que la misère les divise. Mais il y a a encore de l’amour. »


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Camille Courcy