L'histoire du mot ‘beurette’

Pour de nombreuses personnes concernées, le terme ‘beurette’ revêt un caractère raciste, dévalorisant et fétichisant. Il est notamment le mot le plus tapé sur les sites pornos. Retour sur l’histoire du mot ‘beurette’.

‘Beurette’, un terme lié au porno ?

Quand on tape le mot ‘beurette’ sur Google, ce ne sont que des sites pornographiques qui apparaissent en première page” déplore Asma. “C’est très, très grave. J’ai envie de dire : ‘Non, on n’est pas des beurettes, stop, arrêtez avec ce mot-là’.”, s’insurge Linda. En 2019, le site porno XHamster a publié son classement des termes les plus recherchés en France. Le terme “beurette” figurait en tête. Pour Shanese, ce mot est aujourd’hui trop connoté péjorativement pour continuer à l’utiliser. “C’est un cliché à la fois sexiste et raciste, puisqu’il ne renvoie qu’aux femmes arabes. Enfin, il est classiste, puisqu’il ne qualifie que des femmes de basse extraction sociale” précise Nacéra Guénif-Souilamas, sociologue et anthropologue.


La Marche pour l’égalité et contre le racisme, c’est quoi ?


“Je m’identifierais plutôt comme une française d’origine maghrébine”

Pour comprendre les origines de ce mot, il faut remonter aux années 1980. En 1983, du 15 octobre au 3 décembre, alors que François Mitterrand est le président de la France, des milliers de personnes issues des quartiers populaires marchent vers Paris pour dénoncer le racisme, la répression policière et les crimes racistes. C’est la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Il s’agit de la première manifestation nationale de ce type en France. L’année 1983 avait été marquée par des faits divers racistes qui ont mené à des drames. Parmi eux, la mort de personnes maghrébines tuées “pour motifs racistes”: cinq selon le Ministère de l’Intérieur, 21 selon les associations de lutte contre le racisme. Âgé de moins de dix ans, Toufik Ouanes est l’une des victimes.

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S’organisent alors une grande marche pour lutter contre les actes racistes. Cette marche aurait été inspirée des actions de Martin Luther King et de Gandhi. Les manifestants réclament deux éléments : une carte de séjour de 10 ans et le droit de vote pour les étrangers. Rapidement, le journal Libération surnomme le mouvement “Marche des beurs”. Cette expression devient si populaire qu’elle rentrera dans le dictionnaire l’année suivante. Ce terme ne convient pourtant pas toujours aux femmes et aux hommes concernés. 


Les politiques de l’époque s’emparent du mot ‘Beur’

Le problème avec cette expression, c’est la généralisation qu’elle entraîne. “Cette jeunesse-là va être constituée comme un groupe homogène désigné par le terme ‘beur’. On parle de la génération ‘beur’”, explique Nacéra Guénif-Souilamas, sociologue, anthropologue et auteure de l’article “Beurs, Beurettes, pseudo-français” publié en 2011. La marche contre le racisme rassemblait Français et Françaises de toutes origines. Les politiques de l’époque s’emparent de ce terme ‘beur’, à coup de ‘Beurs, nous vous avons compris!” et autres “Black, Blanc, Beur”. Au-delà de la génération, ce mot revêt un caractère méprisant. “On va parler de désir d’intégration, ce qui est en soi un oxymore. Il y a une tonalité paternaliste très forte, une forme de condescendance qui conduit à les mettre sous tutelle, littéralement”, analyse la sociologue. 

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Pourquoi on dit rebeu ?

Le mot ‘beur’ est une contraction du verlan du mot ‘arabe’. ‘Arabe’ devient ‘rebeu’, puis ‘rebeu’ devient ‘beur’. Derrière l’invention de ce mot, il y a un vrai storytelling, explique Nacéra Guénif-Souilamas, sociologue et anthropologue : “Comment la marche pour l’égalité et contre le racisme devient la marche des Beurs ? C’est presque révisionniste, une façon de refaire l’histoire…


À l’époque, François Mitterrand vient d’être élu président de la République. La sociologue raconte : “Après avoir reçu à l’Élysée certains des membres initiateurs de la marche, à son terme, en décembre 1983, il comprend qu’il a face à lui des acteurs politiques critiques, qui sont parfaitement clairs sur ce qu’ils demandent et notamment sur la fin des crimes policiers, des crimes racistes.” Elle poursuit : “Il initie une contre-dynamique, comme une contre-insurrection, au fil de laquelle il faut complètement réinventer cette histoire et lui donner une toute autre finalité, qui va être de développer un antiracisme moral, et non pas politique.


“On ajoute le suffixe -ette, qui accentue la mise sous tutelle”

Le mot féminin ‘beurette’ apparaît plus tard. Dans les médias, il définit les femmes d’origine maghrébine. “Très vite évidemment, il faut nommer celles qui vont devenir les modèles d’intégration. Au lieu de passer au féminin simplement en ajoutant un -e, ce qui ferait ‘beure’, on ajoute le suffixe -ette, qui accentue la mise sous tutelle, la domestication. On retrouve la même connotation que dans ‘midinette’, ‘soubrette’…”, détaille la sociologue. Le mot devient progressivement une insulte : “Ça l’était sur le mode ‘’tu cèdes trop’, être de trop bonne volonté. Ça, c’est la première manière. Et il y a une forme de trahison clairement formulée. La beurette est un objet sexuel, et à ce titre, on peut lui renvoyer qu’elle cède à la prédation sexuelle des ‘Blancs’.

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Cette vision de la “femme arabe” est héritée pour certains de la période coloniale. Dans les années 2000, des affiches racistes et des photos de nu de femmes indigènes sont redécouvertes, ce qui accentue le fantasme néocolonial et fétichisant. Une nouvelle catégorie apparaît sur les sites pornographiques, celle de “beurette”. “Nous, les femmes, on ne peut pas vraiment s’approprier le mot beurette comme les hommes peuvent s’approprier le mot beur, parce que le mot est trop piégé avec sa connotation sexiste”, réagit Fatima. “La beurette, c’est typiquement une figure orientaliste. C’est une figure d’une femme qui doit être attirante, mais surtout qui devient un objet sexuel. Un objet sur lequel il faut prendre l’ascendant. Ce mot est sexuellement, historiquement, généalogiquement, colossalement chargé. C’est un mot de l’humiliation des femmes arabes”, affirme la sociologue. 


Le 1er juin 2020, le hashtag #TF1Raciste a été lancé à la suite de l’utilisation dans le synopsis d’un épisode de “Joséphine Ange Gardien” de l’expression “beurette issue de banlieue”. Un terme péjoratif qui désigne les femmes d’origine maghrébine. “Beurette issue de banlieue, c’est quoi votre souci ??? Déjà que vous émissions sont plus que médiocres, vous vous permettez d’utiliser des mots misogynes, racistes et dégradants, je rêve” avait tweeté l’une des personnes critiquant cet usage de la part de la chaîne de télévision.

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Si le mot ‘beurette’ dans les années 1980, à l’époque de la Marche des fiertés et de Radio Beur, a une symbolique relativement positive, elle est aujourd’hui devenue plus péjorative. Le rappeur El Matador dit dans l’une de ses chansons : “la beurette est libertine, partouzeuse de limousine”. Et en tapant le mot sur internet, ce sont les résultats de sites pornographiques qui ressortent très fréquemment : “Vidéo porno beurette”, “beurettes videos” ou encore “vidéo sexy beurette”. Les femmes d’origine maghrébine peuvent encore subir aujourd’hui ce terme négatif et sexiste. 


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