L'Etat condamné pour "faute lourde" après le féminicide de Nathalie Debaillie

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L'Etat a été condamné mercredi pour "faute lourde" à verser 27.000 euros au titre du préjudice moral à la famille d'une femme assassinée par son ex-conjoint à Lille en mai 2019, contre lequel elle avait déposé trois mains courantes et une plainte, une décision plutôt rare.
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Dans son jugement, la première chambre civile du tribunal de Paris a reconnu qu'il y avait eu "un dysfonctionnement traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission qui lui était confiée".

Nathalie Debaillie, enlevée sur son lieu de travail, séquestrée et égorgée, avait averti quatre fois la police de ce que son ex-compagnon prévoyait de lui faire subir, en vain.

Aucune de ses plaintes n'a été enregistrée et transmise au parquet, avait rappelé lors de l'audience l'avocate de la famille, Me Isabelle Steyer.

L'agent judiciaire de l'Etat avait reconnu de son côté "la faute lourde" des services de police dans cette affaire de féminicide.

"Les enquêteurs auraient dû, après information du procureur de la République, réaliser des actes d'enquête, procéder à toutes vérifications utiles et à l'audition du mis en cause", soulignent les juges dans la décision.

Féminicide de Nathalie Debaillie : l'Etat assigné pour "faute lourde"

Le tribunal n'a en revanche pas retenu de faute lourde concernant l'inaction des services de police lors de son enlèvement, qui avait été dénoncée par les demandeurs, soulignant au contraire la "détermination des services enquêteurs à mettre en œuvre tous les moyens utiles afin de porter secours à Mme Debaillie" ce jour-là.

Il a condamné l'Etat à verser 10.000 euros à chacun des deux enfants de la victime, Romain et Florine, 4.000 euros à son frère Nicolas Debaillie et 3.000 euros à son ex-mari Grégory, père de leurs deux enfants, au titre de leur préjudice moral.

A l'audience, l'avocate de la famille avait réclamé des sommes bien plus élevées (200.000 euros pour chacun des enfants et 100.000 euros pour le frère et pour l'ex-mari).

Elle n'était pas joignable dans l'immédiat pour commenter cette décision.

Excuses de l'institution

L'auteur du féminicide, Jérôme Tonneau, a été jugé et condamné à 30 ans de réclusion criminelle, peine assortie d'une période de sûreté de 20 ans, en juillet 2024 par la cour d'assises du Nord.

L'ex-entrepreneur avait surveillé, harcelé et menacé la victime et sa famille pendant des mois à la suite de leur rupture en février 2019 avant de l'enlever avec l'aide de trois complices puis de l'assassiner.

Nathalie Debaillie avait déposé sa dernière main courante le 22 mai 2019, cinq jours avant son assassinat. Cruelle ironie, ce même 22 mai, elle avait été convoquée au commissariat après une plainte de son ex-compagnon lui reprochant un soi-disant vol de portable (qui en fait lui appartenait). La plainte de Jérôme Tonneau, connu pour des faits d'escroquerie et d'incendie criminel, sous contrôle judiciaire depuis 2014, avait été dûment enregistrée et transmise au parquet.

Me Steyer avait observé à l'audience que le fait de ne pas avoir enregistré les plaintes déposées par la victime était "un cas d'école du traitement discriminatoire des plaintes déposées par les hommes d'un côté et les femmes pour violences conjugales de l'autre".

Lors du procès pénal devant les assises, la représentante du parquet avait tenu à présenter les excuses de l'institution à la famille de la victime face aux dysfonctionnements constatés.

En 2020, Me Steyer avait obtenu la condamnation de l'Etat dans une autre affaire de féminicide: l'assassinat d'Isabelle Thomas, abattue ainsi que ses parents par son ex-compagnon en août 2014 à Grande-Synthe (Nord).

Une procédure pour "faute lourde" a également été engagée par la famille de Chahinez Daoud, brûlée vive en 2021 par son mari à Mérignac, en Gironde. L'Etat est aussi assigné dans l'affaire du féminicide de Sandra Pla à Bordeaux la même année.

En 2023, 96 femmes ont été victimes d'un féminicide conjugal en France, selon le dernier bilan publié par le ministère de l'Intérieur. Les chiffres 2024 seront connus en fin d'année.  

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