Le procureur du tribunal correctionnel de Bobigny a été le plus sévère contre Thomas François, demandant une peine de trois ans de prison avec sursis et une amende de 30.000 euros pour le harcèlement moral et sexuel qu'il est accusé d'avoir commis et encouragé auprès de son équipe.
Celui qui était alors vice-président du service éditorial du fleuron français du jeu vidéo a ouvert l'audience jeudi matin, questionné sur une agression sexuelle dont une ancienne collègue l'a accusé et pour laquelle elle avait témoigné la veille à la barre.
À voix basse, Thomas (dit Tommy) François a répondu n'avoir "pas le souvenir" de cette embrassade forcée.
"Culture extrêmement viriliste"
Cette amnésie plaidée par les trois prévenus qui sont jugés depuis lundi et le déni des responsabilités incombant à leur fonction, a été descendue en flèche par les avocats des parties civiles jeudi matin.
Pour elles, le procès est bien celui de "la culture extrêmement viriliste et puérile" chez Ubisoft, fleuron français d'une "industrie (des jeux vidéos) qui a été construite par des hommes et pour des hommes," selon les mots choisis par Me Sophie Clocher.
La conseil du syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo dénonce "le désintérêt assumé pour le droit du travail par le numéro 2 d'une multinationale qui déclare +ça ne m'intéresse pas, c'est le rôle des RH+".
Mardi, l'interrogatoire poussé de Serge Hascoët, ancien directeur créatif de la multinationale, a mis en lumière sa gestion managériale calamiteuse et l'exploitation à titre personnel qu'il faisait de ses assistantes.
Contre l'ancien numéro 2, le procureur a demandé une peine de 18 mois de prison avec sursis et l'amende maximale de 45.000 euros pour harcèlement moral, demandant la relaxe pour le harcèlement sexuel dont il est accusé, faute de caractérisation suffisante.
"Il faut fixer des limites, c'est le rôle d'un patron", rappelle Me Benjamin Bohbot qui déplore qu'à Ubisoft, "c'était le règne du n'importe quoi."
Poursuivi pour harcèlement sexuel et moral, Tommy François invoque "la culture Ubisoft"
"Lunaire"
Quand elle a travaillé sous la direction de Tommy François, sa cliente a été ligotée à sa chaise et envoyée par ascenseur à l'étage supérieur, ou encore contrainte à plusieurs reprises par son supérieur de faire le poirier dans l'open space.
"Vernir les pieds de son patron sur son lieu de travail, c'est lunaire de demander ça à quelqu'un, jeu vidéo ou pas", s'exclame Me Bohbot, rappelant "l'asymétrie fondamentale" entre de hauts cadres gagnant plusieurs dizaines de milliers d'euros par mois et des jeunes sortis d'école payés au salaire minimum.
"Les managers sont responsables de la sécurité de leurs employés. Ce n'est pas juste la logique, c'est le code du travail", a souligné Me Maude Beckers, avocate de cinq anciens employés d'Ubisoft et du syndicat Solidaires informatique.
Et de rappeler le champ lexical enfantin de Thomas François qui exprimait des remords après avoir entendu les témoignages des plaignants, usés par les insultes - "morue", "bitch" - lancées à tout va ou encore les photos de ses fesses qu'il leur montrait.
Contre Guillaume Patrux, ancien game director, le procureur demande une condamnation à 15 mois de prison avec sursis et une amende de 10.000 euros, pour sanctionner "le harcèlement moral, à une échelle plus réduite que Serge Hascoët et Thomas François, mais particulièrement intense pour son équipe".
Aucun avertissement des RH
Pour sa défense, Me Cyril Garciaz a déploré que M. Patrux n'avait eu "aucun avertissement disciplinaire, aucun entretien avec les RH".
Me Jean-Guillaume Le Minter a questionné le fondement de l'accusation de harcèlement sexuel contre Serge Hascoët : "est ce qu'un homme aujourd'hui ne (peut) plus faire une blague puérile sur la taille de son sexe?".
Aux plaignants pour qui, selon lui, "il faut une tête d'un chef d'Ubi," Me Minter appelle ainsi qu'au tribunal "à ne pas vouloir faire endosser (à son client ) la responsabilité des absents".
Parties civiles et défense déplorent l'absence de poursuites contre la personne morale Ubisoft, son PDG Yves Guillemot et Marie Derain, sa responsable des ressources humaines.
"S'il avait été recadré (par les RH), il n'y aurait pas eu de victimes, pas de dossier" assure Me Olivier Gozlan, plaidant que Thomas François, "n'avais pas conscience de faire une faute".
S'il a reconnu et regretté certains faits, il conteste la tentative d'agression sexuelle dont il est accusé.
Le tribunal rendra sa décision le 2 juillet.