Jugé pour faux en écriture publique, un policier "pas fier" de son coup de pied à la tête

Crédit : dechevm / Adobe Stock
Un procès-verbal truffé d'"inexactitudes" et d'"omissions" lui vaut de comparaître devant une cour criminelle: un policier est jugé depuis jeudi à Bobigny pour "faux en écriture publique" après une violente interpellation en 2019 sur un point de deal de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis).
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Le 10 août 2019, deux équipages de la CSI 93 décident de désobéir à leur hiérarchie. Alors qu'ils étaient censés être en mission de sécurisation à Saint-Denis et Aubervilliers, ces six policiers décident de se regrouper et de monter une opération d'interpellation dans la cité Cordon de Saint-Ouen, réputée pour être un point de deal.

Le quadrillage de la vidéosurveillance sur la cité permet de suivre sous différents angles quasi toute la scène, de l'entrée dans la cité du policier mis en cause au départ du fourgon de police.

On y voit le policier entrer en civil dans la cité, une sacoche à la main. Il se dirige vers le point de deal, échange rapidement avec un guetteur et s'approche du porche où est stationné le vendeur de stupéfiants.

Le début de l'altercation, dans un angle mort des caméras, n'est pas visible. Apparaissent ensuite à l'écran le policier et le jeune homme interpellé qui s'échangent des coups.

Plusieurs coups de poing violents, notamment au visage, sont assénés par le policier avant l'arrivée de renforts.

Une fois le vendeur immobilisé au sol par deux collègues, le policier s'éloigne puis revient lui donner un coup de pied à la tête. 

Dans le procès-verbal qu'il rédige, ces éléments sont passés sous silence. Une rébellion du vendeur et un usage de la force de sa part sont évoqués par le policier sans précision. Il évoque aussi porter un brassard, ce qui ne sera pas confirmé par les vidéos.

"Sur mes déclarations, j'ai menti. J'étais pas fier de ce coup de pied, ça va à l'encontre de ma morale de policier. J'ai commencé dans cette version, j'ai pas su comment faire après. Je n'ai pas voulu masquer la vérité", explique le fonctionnaire de 35 ans à la cour qui le juge jusqu'à vendredi.

"Erreur professionnelle"

"Ce coup de pied n'aurait jamais dû être donné. C'est une erreur professionnelle, donné sous le coup de l'énervement... ça ne justifie rien", ajoute-t-il.

S'il reconnaît des inexactitudes et omissions dans la rédaction du PV, il nie l'avoir fait de manière intentionnelle.

"C'est un procès-verbal fait à la va-vite qui ne correspondait pas à la réalité de ce qu'on pouvait voir sur les vidéos", a asséné l'ex-commandante de l'IGPN (police des polices) chargée de l'enquête.

D'après la version du policier, il effectuait une patrouille en civil lorsqu'il a assisté à une transaction de stupéfiants. Il en informait alors ses collègues et déclenchait l'interpellation.

Pour l'enquêtrice de l'IGPN, cette description ne correspond pas à la réalité qui ressemble plutôt à un "coup d'achat", soit le fait par un policier de provoquer une infraction.

Cette pratique est censée être encadrée procéduralement avec une autorisation du procureur ou d'un juge d'instruction.

Âgée de 20 ans au moment des faits, la victime, qui n'était ni présente ni représentée à l'audience, avait déclaré lors de la procédure que le policier s'était présenté comme un client souhaitant acheter une petite quantité de drogue. Alors que le vendeur se retournait, il avait reçu du gaz lacrymogène avant d'être violenté par le policier.

"Le certificat des unités médico-judiciaires permettait de relever des traces qui correspondaient à ce qu'avait dénoncé" la victime, a relevé l'ex-commandante.

Sur des photos projetées à l'audience, plusieurs ecchymoses sont visibles, notamment une très large trace violette au niveau de son profil.

Un second fonctionnaire est lui jugé pour violences aggravées pour lui avoir lui aussi porté un coup de pied au niveau de la tête, mais selon le mis en cause, le coup n'aurait touché que les mains du jeune homme.

Deux heures après cette interpellation, le même équipage tentait d'interpeller un guetteur dans une autre cité de Saint-Ouen. Dans sa plainte, ce jeune homme raconte un contexte similaire: une prise de contact par un policier en civil avant un déchaînement de violences.

Cette affaire s'inscrit dans le vaste scandale qui a touché la CSI 93, unité aux méthodes controversées qui a un temps été promise à la dissolution avant d'être réorganisée.

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